Foi de boulanger

Foi de boulanger

La Grande Suardière, c’est un lieu de pèlerinage pour moi. La première fois, c’était il y a cinq mois (lire ici). Mais nous n’avions fait que passer. Là, nous sommes restés plus longtemps.

Cécile et Thierry ont déménagé des montagnes pour s’établir ici. Sans un sou. Ils ont tout fait de mains habiles et déterminées pour faire renaître l’âme de cette ferme abandonnée. La foi, elle ne les a jamais quittés.

J’avais pressenti, la première fois que j’ai rencontré Thierry et que j’ai vu son pain, qu’il se passait quelque chose de «spécial» ici. Le four à bois, chauffé grâce à un foyer latéral, m’avait impressionné, car jamais je n’avais vu ce système.

Que des pains au levain naturel, faits avec une farine de blé dont les grains proviennent de la culture que fait Thierry dans des champs voisins. Un blé ancien, ça ne donne pas beaucoup de force et d’élasticité à sa farine. C’est donc très fragile comme pâte à pain, quand vient le temps de la façonner. Qui plus est, pour ne pas faire un pain ordinaire comme le font tant de paysans boulangers, Thierry a perfectionné une méthode de pâte à pain liquide. Pour former, façonner une baguette, une miche ou un bâtard, il faut y arriver en deux ou trois mouvements. Quatre, ça colle tout de suite aux doigts, au plan de travail. Chaque geste amène la pâte à sa limite, laquelle il ne faut pas dépasser.

Dans le four à bois, les pâtes s’élèvent et ressortent avec un volume doublé. C’est le fameux coup de sole. Les pains craquent, brûlent les petites mains de Maël et Kaliane qui s’empressent de monter l’étalage.

Deux enfants curieux d’apprendre, de rendre service. Ils ont attendu avec impatience leurs premiers clients, qu’ils ont appris à servir avec courtoisie et retenue.

Ce fut un travail limite pour moi, car jamais je ne pouvais imaginer que des pâtes aussi souples et fragiles pouvaient être manipulées sans artifices — peu de farine, pas de corne ou de racloir pour aider. Je ne suis toujours pas parvenu à suivre le rythme de Thierry, ni à façonner avec constance. Car cela s’apprend, en suant. En répétant. Mais c’est ce travail qui en vaut la chandelle. Car qui reste dans sa zone de confort ne découvrira jamais ce qui, à force de courage et de confiance, fait une véritable différence dans le monde, pour soi-même et pour autrui.