La liberté à fleur de peau
«Avez-vous hâte de rentrer chez vous?» nous demande-t-on. Comme si notre retour pourrait se faire contre notre gré. Comme si nous aurions souhaité que ce voyage – ces «vacances» aux yeux de plusieurs qui nous envient – continue sans cesse, que cette «liberté» ne soit jamais interrompue. Tout le monde le sait, le voyage ce n’est pas des vacances!
La liberté n’est ni dans les vacances ni dans le voyage. Elle n’est pas dans «le dehors», elle n’est pas dans une possibilité d’aller où bon nous semble, de faire comme «je veux, quand je veux». Non. Le voyage est peut-être aux antipodes de la liberté, même… Paradoxe? Non. Réalité.
Le voyage, c’est se confronter aux limites de soi, aux limites de nos capacités de demeurer libres, justement. Car mes prisons intérieures, ces habitudes dans lesquelles je m’enferme, sont bien plus solides, imposantes et affolantes que je peux l’imaginer.
La réalité? Et bien, je ne suis pas aussi libre que je croyais l’être. Car le voyage en me déstabilisant dans plusieurs de mes repères – ceux que je croyais fondamentaux, acquis – m’a montré que le monde est une chose à refaire à chaque instant. Car le monde, il commence en soi. Et la liberté aussi.
La liberté n’est donc pas «au-dehors». Oui, vous me direz, nous dépendons de tant de conditions, de gens, de circonstances qui nous sont extérieures et qui peuvent nous sembler incontrôlables. Justement, la folie de l’être humain c’est de croire qu’on peut contrôler ce monde-là, ce monde extérieur. Je tente en vain de la rationaliser, de l’organiser, de le planifier.
En voyage, c’est ce monde-là qui fout le camp sous mes pieds. Il m’échappe. Je serais devenu fou si j’avais voulu le maîtriser. En partant un an, nous avons perdu beaucoup. De l’argent, du temps. Nous avons fait des choix que nous portons en nous sans regret. Car si ces choix n’étaient pas nécessaires, ces choix étaient la vie, notre chemin, notre réalité. Notre voyage. Notre rêve.
Nous avons cultivé notre liberté en faisant le choix d’accepter de nous laisser porter par nos choix, jusqu’à ce que nous choisissions d’autres pistes, d’autres avenues à explorer.
Et là c’est le retour. Il fait partie du voyage. Nous sommes partis en voulant nous découvrir, en partant à la quête d’un mode de vie durable, sain pour soi et sain pour les autres. Je laisse de côté la question de savoir si le voyage en lui-même peut être durable. En fait, je n’en ai aucune idée tellement ça me heurte profondément quand je réalise à quel point nous avons dépensé des ressources – physiques, spirituelles, mentales, financières – pour y arriver. Nous revenons certainement plus pauvres monétairement.
Si le voyage est véritablement un mode de vie et s’il peut être durable, c’est selon moi uniquement par la voie intérieure, au moyen de la transformation de mon rapport à soi et aux autres. Aucune destination ne peut y faire quelque chose.
La liberté du voyage est accessible à tous, en tout temps. C’est un état d’esprit. Cela me semble un lieu commun de l’affirmer. Mais l’expérimenter? Comment cheminer dans sa vie de tous les jours avec une confiance en soi, dans les autres, et dans ce qui est «la vie» – avec tous les bas et toutes les difficultés – en conservant un regard lumineux dirigé vers l’horizon et l’ouverture infinie de la rencontre avec l’étrangeté, l’inconnu, l’imprévu?
Cela se peut-il dans le quotidien? La routine? Si ces deux-là me font un peu peur, j’ai confiance que la confiance et le lâcher-prise que j’ai nourris durant cette année peuvent m’accompagner en toutes circonstances.
Elle est donc là, la liberté. Elle se situe à la frontière fine et délicate entre le monde que je construis intérieurement et celui «au-dehors» avec lequel je suis continuellement en interaction. La liberté est à fleur de peau. Ces mondes, ce sont des singularités, des expériences, des événements et des gens qui se présentent à moi – ou bien est-ce moi que me présente aux autres?
Le monde et – qui plus est – l’expérience du monde sont à recréer, à réinventer à chaque moment. Nous cheminons sur des chemins plus ou moins balisés. Ne perdons jamais de vue l’horizon qui inspire tant de voyageurs, de nomades, de marginaux et – au final – tant d’êtres humains humbles et simples à vivre autrement – dans la «sobriété heureuse» et la «simplicité volontaire» – pour leur bien et celui des autres.