Vivre ses rêves
J’ai passé – et je crois que je passe encore – beaucoup de temps à rêver ma vie. Mais pendant ce temps, j’ai bien peur de vivre par procuration. J’ai utilisé les aventures d’autres voyageurs pour projeter au dehors de moi une image d’un François aventurier, audacieux et libre. Mais ce n’est qu’en larguant les amarres, en partant, que j’ai cessé de construire de faux obstacles qui, j’imaginais, m’empêchaient d’aller de l’avant avec mes rêves, avec ma vie. Je projetais mon insécurité et mon incertitude sur un monde que je n’osais pas éprouver sans quitter mes repères.
En partant, nous avons osé expérimenter l’inconnu. Nous n’avions aucune certitude ni sécurité quand nous sommes partis, tant sur le plan de la logistique de notre voyage que sur le plan de nos ressources financières pour y parvenir. Nous avions au moins les conditions minimales pour nous permettre de penser partir, mais pour le reste c’est notre rêve et notre audace qui nous ont portés. Le rêve d’une vie nous y poussait.
Marie-Soleil et moi nous sommes connus lorsque nous étions assis en classe de cours, à l’université, côte à côte devant nos cartables recouverts de photographies de voyage. Il n’en fallait pas plus pour souder notre relation. Après quelques grands voyages en couple et la naissance de nos deux enfants, Maël (9 ans) et Kaliane (7 ans), il nous a semblé évident que nous réaliserions un jour un long voyage en famille. Mais pourquoi?
Depuis quelque temps, avant notre départ, je «consommais» avidement les récits, blogues et photos d’autres voyageurs. J’ai compris que cela ne me satisferait jamais. Nos tripes ressentaient un besoin irrésistible de couper avec notre milieu matériel et social pour aller nous laisser façonner pas d’autres forces du monde.
Rien n’était précis, sinon que nous irions voir la sœur de Marie-Soleil en Suède et que nous achèterions un camping-car pour économiser (vraiment?) sur le transport et l’hébergement. Nous souhaitions rencontrer des gens qui mènent des modes de vie durables. Nous espérions que ces partages nous inspireraient afin de créer pour nous-mêmes, nos enfants et notre communauté un mode de vie enracinée dans nos passions véritables. Aussi, nous voulions nous offrir du temps et de l’espace pour être tout simplement en famille. En voyage, je vis cette vie en famille intensément, parfois sans répit et même en me demandant pourquoi j’endure tout cela – je m’ennuie des amitiés que je nourris au-dehors des responsabilités familiales. Mais je deviens aussi conscient de la force de cette interdépendance qui m’unit à mes enfants.
Je voulais également vivre une transition en partant. Du doctorat en sciences humaines des religions à un poste de recherche en sciences sociales de la santé, et maintenant comme stagiaire postdoctoral en études littéraires dans le cadre d’un projet sur les récits de voyage, je suis à la recherche de mon expression dans le monde.
Je ne suis ni photographe, ni écrivain, ni chercheur – ce sont des statuts qui m’échappent – mais je vis en ce moment de la photographie, de l’écriture et de la recherche. Reporterra, c’est mon interface pour garder contact avec «mon» monde, avec ceux que j’aime et avec ceux avec qui je veux partager ma passion. Si à la lecture d’un de mes articles, une personne allait de l’avant avec son souhait de voyager autrement, il me semble que j’aurais contribué à quelque chose.
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Hum.. .merci pour ce beau texte. Ça m’a fait du bien ce matin 🙂
C’est un peu ça, le voyage: sortir de l’univers qu’on connaît pour redécouvrir des choses qu’on savait déjà, finalement, et réorienter notre vie en lien avec ces prises de conscience… Comme quoi changer de point de vue, bouger, être déstabilisé, c’est sain. Et j’ai eu la joie de comprendre, en te lisant, que comme tu es un homme qui ne vit jamais les choses à moitié, toi, il te fallait le monde entier et pendant un an en plus, rien de moins, pour y arriver. Ça me fait du bien de le constater, parce que trop souvent, depuis votre départ, je me suis demandée (avec tantôt de la curiosité, tantôt de la tristesse, tantôt de l’incompréhension, tantôt de la nostalgie): « Mais pourquoi ils avaient besoin de partir si longtemps?? ». Et mon chum de me répondre: « Parce qu’il en avaient besoin, c’est tout ». Pour d’autres, le « ice cream party » de l’église anglophone du coin de la rue, ça fait la job, ou encore, une visite au Pub « la Caserne », ou même une visite anthropologique à l’épicerie asiatique sur le boulevard Taschereau…
Merci de m’avoir éclairée, cher ami. En terminant j’ai envie de te transmettre une citation, d’une auteur très inspirante qui a tenu un journal jusqu’à quelques mois de sa mort, Christiane Singer, et qui disait: « Faire des plans d’avenir, c’est aller à la pêche là où il n’y a pas d’eau. Rien ne se passe jamais comme tu l’as voulu ou craint. Laisse donc tout cela derrière toi »…Et plus tard, elle ajoute: » ne jamais oublier d’aimer, exagérément. C’est la seule bonne mesure ».
Bonne continuité François! Je vous embrasse!
La «dernière douane», écrivait Nicolas Bouvier. C’est-à-dire la mort. On vient au monde avec si peu et on repart peut-être avec encore moins. J’ai beau être au bout du monde (pour certain), il n’en reste pas moins que c’est le «même» esprit qui voyage… en tout cas c’est un ensemble de causes et de conditionnements que j’appelle «moi» qui voyage. Autrement dit, je pourrait être à l’autre bout du monde et ne jamais me permettre d’éprouver l’inconnu. Cette épreuve, je lui résiste souvent. C’est sur un coussin de méditation que j’ai fais la «vraie» rencontre, si ça existe…
Merci!
Merci, très belle prise de conscience… Ce texte m’inspire grandement.
Sans vouloir dénaturer le texte, cette question me parle particulièrement et se répond d’elle-même…
« Ne vaut-il pas mieux envisager l’inconnu (du voyage, du voisinage, du village, de la communauté, etc.) comme une part de soi-même que nous pouvons expérimenter directement? »
Et c’est bien vrai que «chaque instant mérite toute [notre] attention.» Je trouve que je l’oublie trop souvent et j’observe quotidiennement que je ne suis pas seul dans cette situation.
Merci. Au bonheur…