Les moines de la forêt

Les moines de la forêt

Ils sont ponctuels. Vers 7 heures tous les matins, ils marchent d’un pas rythmé et avec le regard abaissé vers l’autre extrémité du village de Maejo. Partis dès 6 heures de leur ermitage, situé dans la forêt au-dessus de Maejo, ils portent sous leurs bras leur bol d’aumône dans lequel les dévots laïques déposent leurs offrandes de nourriture.


Les moines qui résident dans la forêt – une tradition bouddhique ascétique datant de l’époque du Bouddha et qui a été régénérée en Thaïlande au début des années 1900 par Acariya Mun (1870-1949) – adhèrent strictement au code de discipline monastique du bouddhisme. Entre autres, tous les matins, ils se doivent d’aller recueillir eux-mêmes les offrandes de nourriture qui constitueront leur seul repas quotidien.

Puisque certains jours les offrandes sont assez nombreuses, leurs bols se remplissent et s’alourdissent à un point tel que nous songeons à les aider à rapporter les denrées jusqu’à leur ermitage. Un matin, alors, Maël et moi rencontrons les moines à l’orée du village et leur emboitons le pas. Les lueurs du soleil levant projettent notre ombre diffuse sur les bas côtés du chemin.

Les premières offrandes proviennent de deux femmes sortant de leur échoppe. Elles attendent, debout et tenant à leurs mains leurs offrandes, que les moines passent devant eux. Ils s’arrêtent, gardent leurs yeux abaissés, retirent le couvercle de leurs bols dans lequel les dévotes déposent les vivres. Une fois l’acte accompli, les moines referment leurs bols et entament des chants et récitations en pali, pour le bien de tous les êtres.

Ce geste se répète une demi-douzaine de fois. Le sac d’épicerie que je porte accumule le poids des offrandes et je songe que mon coup de main n’est pas anodin.

Tuang, un fidèle du village, nous attend cette fois-ci à la sortie du village pour nous reconduire à l’ermitage, en pick-up. Cela nous sauve bien 45 minutes de marche sur un sentier ascendant.

À l’ermitage, nous plaçons les denrées sur deux plateaux, les liquides d’un côté et les solides de l’autre, et présentons le tout aux moines. Ceux-ci choisissent ce qu’ils mangeront, ouvrent les sachets qu’ont préparés les fidèles, et déposent directement dans leurs bols toute la nourriture qu’ils mangeront. Ensuite, ils nous invitent à nous servir parmi la nourriture restante. Tuang, repars vers le village avec tous les sachets que Maël et moi n’avons pas mis de côté.

Le repas terminé et une fois que Maël a balayé les marches et paliers de l’ermitage, nous nous rendons au temple aménagé dans une grotte. Dans une profonde cavité creusée par l’action de l’eau dans un roc de calcaire, un autel est aménagé avec, dessus, des statues du bouddha et de maîtres de méditation thaïlandais. J’invite Maël à porter son attention sur sa respiration et à méditer avec moi quelques minutes.

Nous passons ensuite notre matinée à visiter les grottes autour et à marcher sur un sentier dominé par les falaises. Sur notre gauche, c’est toute la forêt dense, peuplée de bambous et d’arbres majestueux qu’embrassent des lianes de toutes sortes, qui s’ouvre devant nous.

Au sommet d’une colline et sous un couvert luxuriant, Maël et moi restaurons le sentier de marche méditative qui a été endommagé par des pas de buffles. Les moines ne travaillent pas la terre et ne coupent pas les végétaux, pour ne pas prendre la vie d’êtres vivants. Nous piochons alors de la terre fraîche et réparons le sentier sur lequel les moines viennent quotidiennement exercer leur pleine conscience.

Le moine Phra Art, qui nous a guidés, habite cet ermitage depuis novembre dernier et souhaiterait y demeurer encore longtemps. Ordonné depuis trois ans et dans la jeune trentaine, il a quitté la vie urbaine de Bangkok après avoir fait des études en anthropologie sociale. Moine, il a retrouvé la santé, alors qu’il souffrait auparavant d’obésité.

Cette incursion dans un mode de vie hors du commun – même ici en Thaïlande – nous a offert à Maël et moi l’occasion de nous retrouver au sein d’une tradition millénaire toujours vivante.