Reportage | Rafting sur la Oued El Abib, au Maroc

Reportage | Rafting sur la Oued El Abib, au Maroc

maroc-4Au pied de la falaise, le torrent s’engouffre violemment dans un trou sans issu. C’est au pied de cette chute que la Oued Tissakht se fond dans la Oued El Abib. Les Cascades d’Ouzoud se trouvent juste en amont sur la Oued Tissakht. Nous avons mis le raft à l’eau à quelque part entre les cascades et la chute. Mais ici, cela ne passe pas.
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Marrakech, 2 jours avant la descente

Nathalie Schneider et moi revenions d’un trek dans le massif du Siroua, dans l’anti-Atlas marocain (cliquez ici pour lire le reportage paru dans Géo Plein Air). Le chauffeur, logisticien en chef et guide de rivière de l’agence Tawada Trekking, Pascal Perron, nous avait informé que les vannes du barrage Bin El-Ouidane seraient ouvertes afin de laisser se vider les eaux du réservoir. Ce «lâcher de barrage» permettrait ainsi de laisser s’écouler les volumes d’eau que le réservoir ne peut plus contenir à cause de l’accumulation progressive de sédiments dans ses fonds.

À la question de savoir si une descente en rafting nous intéresserait, il était évident qu’une aventure aquatique serait l’idéale après une randonnée en montagne. Cette descente de rafting serait une première pour Tawada Trekking, car le oued est généralement asséché et les lâchers de barrage surviennent sans avertissement.

Grâce à Patrick, propriétaire du Riad des Cascades d’Ouzoud, notre guide a été promptement renseigné sur l’état du oued et des rapides. L’inondation subite a provoqué un déferlement de rapides de classe 3 au fond d’un canyon abrupte. La végétation, dont des lauriers et des roseaux, a été enfouie sous la masse d’eau et constitute un danger potentiel, car elle pourrait nous emprisonner sous l’eau si nous chutions. En bon amateur, Patrick a tenté la descente à bord d’un canot gonflabe acheté à bon prix. Il a abandonné son projet quelques centaines de mètres après avoir mis son canot à l’eau. Décidément, ne s’aventure pas sur un oued inondé quiconque le veut.

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Cascades d’Ouzoud, la veille de la descente

Sur la route vers Ouzoud, Maroc

Sur la route vers Ouzoud, Maroc

De Marrakech aux Cascades d’Ouzoud, nous avons bifurqué vers Foum Jemaa et Bzou pour tenter de repérer la Oued El Abib. Les montagnes et les vallées ont rougi sous la lumière vascillante d’une fin de journée sans nuages. À Foum Jemaa, les villageois et paysans s’étaient rassemblés dans les rues et les cafés pour célébrer cette heure crépusculaire. Les femmes accompagnées de leurs enfants, paniers sous les bras, se dirigeaient vers les étals de fruits et de légumes encore actifs. À cette heure, le repos gagne progressivement sur le travail. Les rues étaient inondées par un flot de vie qu’il faisait bon ressentir, après la condescendance et le harcèlement de certains marchands dont je me suis senti la victime dans le souk de Marrakech.

À Bzou, au fond d’une vallée escarpée, les eaux tumultueuses et brunâtres de la Oued El Abib submergeaient un pont en construction. Émerveillement! Le lâcher de barrage avait bel et bien eu lieu. Mais nous ne pouvions traverser à gué et rejoindre Ouzoud directement. Nous avons fait demi-tour et sommes retournés à Foum Jemaa sous les dernières lueurs du jour. Les reliefs de couleur ocre et hématite qui étaient enflammés il y a quelques instants se sont éteints. Il ne restait plus qu’une route perforée et poussiéreuse.

Riad des Cascades d'Ouzoud, Maroc

Riad des Cascades d’Ouzoud, Maroc

Tard, nous avons rejoint Ouzoud et le riyad que Patrick a bâti à partir de la structure d’une maison berbère traditionnelle qui, à l’époque, ne faisait qu’un seul étage. Designer, créateur, artiste et architecte, mais surtout un marginal, notre hôte a reconverti ce qui était, lorsqu’il n’était qu’adolescent, la maison de son ami marocain. D’une main sensible et d’un œil averti, le riyad a été remodelé en suivant les coutumes traditionnelles que les Berbères ont respectées depuis des siècles dans la construction de leurs demeures. Cela inclut un système de refroidissement de l’air conçu uniquement à partir de l’orientation du bâtiment et de la structure des murs. Aussi, Patrick a mis à profit quelques innovations proprement occidentales, afin de donner à ce lieu le caractère d’un refuge sans prétention, mais d’un goût envoûtant.

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Jour de la descente, confluent de la Oued Tissakht et de la Oued El Abib

Après une nuit envahie par les braiments des mules, nous avons transporté notre matériel dans un cul-de-sac où un paysan et son âne nous ont rejoints. Au fond d’une vallée encastrée, sur le bord de la Oued Tissakht, nous avons gonflé l’embarcation et sommes allés en repérage pour la mise à l’eau.

Oued El Abib, Maroc

Oued El Abib, Maroc


Au sommet de la falaise d’où nous voyions la Oued Tissakht chuter et s’engouffrer énergiquement, nous ne pouvions envisager de contourner l’obstacle en portant le raft à bout de bras. La solution? User de l’expérience de Jonathan, canyoniste, pour descendre le raft en rappel au bas de cette paroi haute d’une quinzaine de mètres.

Oued El Tissakh, Maroc

Oued El Tissakh, Maroc

Voilà que nous lancions le raft dans le vide, lequel n’était plus retenu qu’à un seul fil. Pour rejoindre le raft, nous avons contourner la falaise à pied. Quelques centaines de mètre en amont du confluent, nous nous sommes jetter dans le courant. Vêtu d’une combinaison isotherme, je tenais d’une main ma pagaie et de l’autre, mon appareil photo que je tentais de maintenir hors de l’eau. Des pieds, j’essayais de ne pas m’éloigner trop du pied de la falaise, pour ne pas dériver au centre du courant. Ainsi, nous sommes parvenus à notre raft d’où nous avons entrepris notre descente inédite.

Le confluent de la Oued Tissakht et de la Oued El Abib est un remou turbulent surmonté de moutons blancs. Jonathan, en bon canyoniste, s’est jeté sans veste sur une glissade de pierre et s’est laissé emporter dans le rapide à une vitesse grand V. Disparu sous la surface brunâtre pour quelques instants il est réapparu quelque peu désorienté au milieu du confluent. À la nage, il a rejoint l’autre rive de la Oued El Abib. Nous avons jeté le raft à l’eau et avons rejoint notre équipier.

Oued El Abib, Maroc

Oued El Abib, Maroc

Une bonne partie de la descente sur la Oued El Abib se fait sur des rapides de classe 3. Entre ceux-ci, nous avons admiré cette force vive encaissée au fond d’un canyon abrupte. Peu de sentiers de bergers étaient tracés sur les flancs rocheux, ce qui nous laissait croire que nous étions hors des sentiers battus.

Pascal a guidé notre équipage d’un air enjoué. Épanouï, il savourait ce retour aux sources après de longs mois passés dans la chaleur et la poussière de Marrakech. Ses leçons in situ ont noué une équipe fort habile qui manœuvrait sans anicroche parmi les rochers, les roseaux et le courant.

Quelques kilomètres en aval, le Oued El Abib s’est élargi. Les flancs des montagnes s’évasaient progressivement et de nombreux sentiers de bergers faisaient leur apparition ça et là. Nous sommes passés devant un hameau qui se serait fait connaître grâce à une production illégale d’alcool distillé. Les femmes qui faisaient leur lessive sur les berges du oued se sont étonnées de notre passage, alors que les enfants ont entrepris de nous suivre en courant le long des sentiers sur la rive.

Presque parvenus au pont en construction à Bzou, nous avons aperçu au loin un câble qui nous coupait le passage. Flottant à moins d’un mètre de la surface de l’eau, le câble nous a obligé à un arrêt contre un affleurement rocheux. Un passeur utilisait ce câble pour tirer un radeau de fortune d’une rive à l’autre. Contre rémunération, il faisait passer familles, ouvriers et paysans là où, en temps normal, la traversée se fait à sec.

Passeur, Maroc

Passeur, Maroc

Spontanément, Pascal nous a quitté pour aller piloter, jusqu’à l’autre rive, ce radeau insoumis à l’art de la pagaie. Dans une hilarité générale, notre guide est devenu passeur. Il a réussi, après quelques rotations aléatoires, à déposer ses passagers sur la terre ferme. Le paysan-passeur, quant à lui, accepta notre invitation à bord de notre raft. Nous l’avons conduit jusqu’à ses barils flottants et, de là, nous sommes salués gaiement.

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À Bzou, dix kilomètres après avoir mis notre embarcation à l’eau, nous quittions la rivière pour entreprendre le retour d’une demi-journée à Marrakech. Dans un futur rapproché, nous disions-nous, la descente de la Oued El Abib pourrait se faire à partir du barrage Bin El-Ouidane. La durée, mais surtout le caractère plus sauvage de la descente s’en verraient ainsi bonifiés. Pour les débutants, cela ferait également en sorte qu’ils ne soient pas éberlués à l’idée de balancer leurs embarcations du haut d’une falaise et de se jeter à l’eau sans grand filet de sécurité pour rejoindre leur point de départ.

Après un trek dans le massif du Siroua et une descente de rivière dans la région d’Ouzoud, je ne peux imaginer meilleur séjour marocain. Si ce n’était toutefois de la compagnie de nos guides, Pascal (rivière) et Hafida (trek), ces aventures auraient été incomplètes. Il me semble que j’aurais manqué l’essentiel : un contact privilégié avec des gens emplis de passion humaine et du goût de l’aventure. Le Sahara pourrait, dans un avenir rapproché, être le lieu d’un autre périple en famille, en compagnie de chameliers rodés à accompagner de jeunes familles à travers les dunes. Désert, montagnes, rivières et toutes les cultures locales qui les habitent, je reviendrai. Inch Allah!

Plus de photos

À voir

High Atlas Kayaking, de Hugo Clouzeau. 5 min. We Are Hungry Productions, 2013. <http://vimeo.com/68028625>. Un court film d’aventure qui présente les aspects les plus spectaculaires des descentes de rivière au Maroc. Tawada Trekking assiste les aventuriers dans l’organisation de telles expéditions.

C’est la vie, une chanson de Khaled qui a mis de la joie dans nos veillées marocaines!

Sous un ciel étoilé, à 2000 mètres d’altitude dans le massif du Siroua, il m’a été difficile de ne pas avoir été ému en entendant Kothbiro de Alberto Iglesias et Ayub Ogaba (la chanson thème du film The Constant Gardener, par Fernando Meirelles). Une chanson sur un lecteur MP3 au sommet des étoiles peut inspirer un état de grâce profond… Voici une interprétation par un groupe suédois, Vokalgruppen Andetag.