Les éléphants

Les éléphants

Quand on n’est pas trop certain d’avoir ou non fait le bon choix, qu’on a envie de critiquer, il vaut mieux se mettre en esprit en commençant par exprimer sa gratitude, sa reconnaissance. Donc, on commence, n’est-ce pas, par les fleurs. Viendra ensuite le pot!

Les enfants en rêvaient, de cette journée avec les éléphants. Nous autres aussi, faut dire, sachant que ce serait là, probablement, l’un des moments les plus forts du voyage. Autant pour les enfants que pour nous.

La simple vue des éléphants a tout de suite allumé la flamme dans le regard de Maël et de Kaliane, tout comme dans ceux de Jai et Maya qui sont arrivés en Thaïlande, il y a quelques jours, avec leurs parents Kory et Michelle. C’est l’excitation et aussi, tout d’un coup, le calme : les enfants semblent déjà se concentrer sur la rencontre à venir.

Une fois l’introduction passée (j’y reviendrai), notre éléphant nous tend la jambe avant pour nous aider à grimper sur son dos. Marie-Soleil et les enfants escaladent cet escalier de chair rude et plissée, alors que je me hisse sur la tête de l’éléphant par un autre moyen. Abaissé devant moi, face contre face, je dois prendre mon élan et sauter comme à saute-mouton par-dessus son visage. Je suis alors à califourchon, derrière les oreilles du pachyderme, fesses vers l’avant. Rotation de 180 degrés et je retrouve un certain confort, les jambes coincées derrières les oreilles de notre monture.

Sur la piste, près de la rivière, et sous le couvert de quelques arbres, nous guidons notre éléphant en criant les directions. Je ne sais trop si cela fonctionne, l’éléphant semble mieux connaître que moi le sentier à suivre, mais ce n’est pas grave.

Nous retrouvons, perchés à deux mètres de hauteur, un point de vue inhabituel. Nous tanguons dans tous les sens alors que notre éléphant marche lentement, lourdement, mais paisiblement. Ce mouvement rotatif sous mes fesses m’apaise : l’éléphant nous porte comme des puces sur la tête d’un chien.

Cette force enfouie dans la bête, je la ressens à travers cette lenteur, cette carapace de cuir rugueux et ces os de ce crâne immense.

Au bord de la rivière, les enfants s’en donnent à coeur joie à laver, frotter et éclabousser les animaux. C’est à ce moment, je crois, que Maël et Kaliane ont développé une plus grande intimité avec ceux-ci. Je les vois s’approcher, se coller et embrasser les éléphants, leur exprimer leur affection et leur tendresse.

Je me demande quand même si ces éléphants sont heureux… Des voyageurs rencontrés à Maejo Baandin avaient visité un refuge pour éléphants et nous avaient dit : «Quand ils sont heureux, les éléphants battent constamment des oreilles.» Je n’ai pas vu nos éléphants agir de la sorte.

Maintenant, le pot. Notre guide (j’ai oublié son nom) nous a accueillis comme un gentil animateur du genre Club Med, en hurlant presque à tue-tête et en nous déballant le programme des activités. Les vêtements que sa compagnie nous prête pour nous revêtir, et ainsi ne pas salir nos propres vêtements sont à peine propres. Michelle confirmera que les siens sentent la sueur d’une autre personne.

Notre guide a écrit nos noms, en thaïlandais, avec un feutre indélébile sur nos bras. Sans grande considération, avec des gestes plutôt brusques, il nous prend les bras, les place un à côté de l’autre et avec sa voix forte nous dit de prendre une photo! Je me permets de lui dire que je n’apprécie pas ses gestes.

Il ne semble pas nous voir. Il nous regarde, certes. Mais cela semble une routine. Il y met une énergie qui me semble exagérée.

Lors de notre introduction auprès des éléphants, lorsque nous sommes montés l’un après l’autre sur l’éléphant, il nous disait avec sa voix forte d’adopter toutes sortes de postures – debout, couché – sur notre monture et ensuite : «Take photo!» Combien de «Take photo!» ai-je entendu auxquels je regrette d’avoir répondu en appuyant sur le déclencheur… Ce n’est pas là l’esprit d’une rencontre, selon moi.

Les lieux m’ont apparu mal entretenus. Propres, oui, mais vides, vacants. Comme si les éléphants ne pouvaient pas vraiment vivre en cet endroit. Comme si ce parc n’était là que pour les touristes. Pas pour les éléphants.

C’est ça qui fait mal. Car je ne voulais pas participer à une activité comme celle-ci sans que tous y soient gagnants, en commençant par les éléphants.

C’était peut-être notre erreur, car nous n’avons pas été assez clairs auprès de notre hôte à Maejo Baandin quand est venu le temps de lui dire où nous voulions aller passer notre journée «éléphant». Le cirque touristique concernant les éléphants est une entreprise très profitable – en baht thaïlandais – mais la question demeure de savoir si tout cela est durable pour les éléphants. Et, ultimement, pour ceux qui vivent de cette affaire.

Dans toute culture, les bonnes intentions ne se concluent pas toujours sur un bon choix éthique. En tout cas pas pour nous qui savons qu’il existe de meilleurs choix.