Limace & escargot

L’escargot et le rosier

Un conte de Hans Christian Andersen, Contes merveilleux, Tome I

(Livrel disponible gratuitement sur http://www.ebooksgratuits.com)

L’escargot, s’adressant à la rose:

«Évidemment, vous ne vous livrez jamais à la réflexion. N’avez-vous jamais essayé de comprendre pourquoi vous fleurissiez et comment seulement cela se produit? Pourquoi cela se passe ainsi et pas autrement?

– Non, répondit le rosier. Je fleurissais joyeusement, car je ne pouvais pas faire autrement. De la terre montait en moi une force, et une force me venait aussi d’en haut, je sentais un bonheur toujours neuf, toujours grand, et c’est pourquoi je devais toujours fleurir. C’était ma vie, je ne pouvais pas faire autrement.

– Vous avez mené une vie bien facile, dit l’escargot.

– En effet, tout m’a été donné, acquiesça le rosier, mais vous avez reçu encore bien davantage! Vous êtes de ces natures qui réfléchissent et méditent et vous avez un grand talent qui, un jour, étonnera le monde.

– Ce n’est absolument pas dans mes intentions, répondit l’escargot. Le monde ne m’intéresse pas. En quoi me concerne-t-il? Je me suffis amplement.

– Mais nous tous, ne devrions-nous pas donner aux autres le meilleur de nous-mêmes? Apporter ce que nous pouvons? Je sais, je ne donne que mes roses, mais vous? Que donnerez-vous au monde?

– Ce que j’ai donné? Ce que je lui donne? Je crache sur le monde! Il ne sert à rien! Je me fiche de lui! Vous, continuez à faire éclore vos roses, de toute façon vous ne savez pas mieux faire. Que le noisetier donne ses noisettes, les vaches et les brebis leur lait, ils ont tous leur public. Moi, je n’ai besoin que de moi. Et l’escargot rentra dans sa coquille et la referma sur lui.»

*

›Le logo d’une grande entreprise québécoise d’autocaravanes luxueuses n’est-il pas un escargot? N’avons-nous pas nous-mêmes choisi la tortue comme emblème de notre propre Bedford 1981, un autre animal qui se recroqueville dans sa coquille et qui peut fuir le monde?

Voyager à bord d’un véhicule «pétrovore» ne peut pas être un choix écologique en soi. Comme l’escargot, nous «crachons» sur le monde notre pollution, nos émanations d’essence et notre monoxyde de carbone. Nous assourdissons les piétons et cyclistes – et nous-mêmes – avec les décibels du moteur. Et même si nous pouvions réduire la consommation d’essence, pourrions-nous vraiment parler de choix écologique quand ce mode de transport est fondamentalement dépendant de l’industrie pétrolière? À quand la première autocaravane fonctionnant uniquement à l’électricité? À l’énergie solaire?

Je rêve de posséder une autocaravane plus récente, plus sécuritaire, plus confortable, plus économique, mieux pensée et plus fonctionnelle. Je serais même fortement tenté par une autocaravane qui a un escargot pour logo, ou par un Volkswagen California 2015! Mais alors, il me faudrait débourser une coquette somme de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ayant déboursé cette somme (si je l’avais à ma disposition, bien sûr), serait-il convenable de penser que mon mode de consommation puisse être à la base d’une simplicité volontaire, d’une écologie durable et d’un engagement social?

Nous naviguons en pleine contradiction. Le voyage à bord d’un Bedford vieux de plus de 35 ans nous pousse à songer aux conséquences de nos choix. Certes notre voyage a un impact sur l’environnement et nous n’avons pas trouvé de moyens pour amoindrir celui-ci tout en conservant notre autocaravane.

Nous sommes très inspirés par les grands marcheurs, comme Sylvain Tesson, Alexandre et Sonia Poussin, ou Bernard Ollivier, qui font de leurs pieds l’instrument pour partir à la quête du monde. Après avoir marché 14000 kilomètres du Cap, en Afrique du Sud, au Lac Tibériade en Israël, au début des années 2000, les Poussin sont repartis en voyage en 2014, cette fois avec leurs deux enfants, au Madagascar. Leur mode de voyage? Deux zébus et une charrette. Impact environnemental minimal, mode de voyage durable et axé sur les rencontres et la proximité. Admirable.

Mais les conséquences les plus importantes ne me semblent pas environnementales, mais personnelles, interpersonnelles et familiales. Personnelles : la conduite est malsaine pour le corps. Cela empire quand le véhicule est difficile à manœuvrer, sans direction assistée, des pédales rigides et des sièges mal adaptés à ma taille (ou serait-ce ma taille qui est mal adaptée?). Interpersonnelles et familiales : les longues périodes de conduite sont du temps que ne je passe pas en compagnie de ma conjointe ni de mes enfants. Solitaire dans la cabine de pilotage, j’entends les échos des voix et des cris des autres membres de ma famille qui sont installés sur les banquettes arrière. Il me faut toujours plusieurs dizaines de minutes pour me remettre physiquement et psychologiquement d’un trajet de deux ou trois heures, tant le Bedford est en lui-même une aventure.

Et le rosier dans tout cela? Le but du voyage n’est-il pas simplement de voyager? Peut-il se suffire à lui-même et insuffler une beauté, une joie et du bonheur – telle la rose – dans le monde? Alors les enfants et nous-mêmes, les parents, serions les premiers bénéficiaires des vertus du voyage : ensemble, réciproquement, vivre l’émerveillement dans un monde neuf, constamment réactualisé par le mouvement qui anime notre quotidien.

Nous ne voulons pas nous refermer sur nous-mêmes, dans notre coquille, et ignorer la nature et les gens qui habitent les lieux que nous parcourons. Idéalement, nous souhaiterions rencontrer encore plus les gens qui vivent ici et là. Et voir moins les autres touristes. Car les grandes destinations ont ceci en commun qu’elles semblent plus achalandées par les touristes qu’habitées par des gens locaux, surtout en haute saison touristique. Souvent, les touristes sont même les seuls sur les lieux de l’attraction : les panneaux et autres indications, livres et cartes, et tablettes et téléphones suffisent à combler le besoin d’autonomie des touristes. Rarement les touristes se parlent entre eux, du moins sur les sites.

Dernière trouvaille : une colonie d’escargots et de limaces peut être à la source d’un grand plaisir pour des enfants en quête de nature. Tenez, l’autre jour, Maël et Kaliane ont collecté des douzaines de ces bêtes dans leurs parapluies, transformés en piscine baveuse pour l’occasion. Les escargots et limaces continuent de cracher. Pendant ce temps, les enfants s’amusent et s’émerveillent.

Collecte d'escargots et de limaces