
Ámantee: l’art du pain à Bangkok
Après quatre mois et demi de voyage en Thaïlande, je me suis mis à repenser au bon pain que nous mangerions au retour, en France. Mais entre temps, Benoit Fradette, qui a fondé le Fromentier à Montréal en 1993 (article et entrevue audio sur l’Agora), nous a répondu de son fournil à Aix (France) qu’il était partenaire dans une boulangerie à Bangkok. Maintenant connu comme le farinomane fou d’Aix, Fradette poursuit sa quête artistique du pain philosophal.
Gilles, un autre Québécois, a été un fan avant l’heure des pains de Benoit Fradette quand ce dernier boulangeait dans son petit fournil, rue Fabre. Vingt ans plus tard, les deux Québécois ont eu l’idée folle de fonder une boulangerie dans une zone non touristique de Bangkok. Ámantee («espace paisible») est née!
Il fallait que Benoit Fradette voyage en Thaïlande il y a quelques années, qu’il aille cogné à la porte chez Gilles et qu’il déclare: «Mais il n’y a pas de bon pain ici! Et si on en faisait?»
Jonathan Valdman travaillait dans un restaurant pour lequel il avait mis sur pied une production artisanale de pain. Autodidacte, il s’était entraîné à l’art de la panification à travers essais et erreurs. Jusqu’à ce que le souhait d’apprendre auprès de maîtres-artisans le motivent à envoyer des demandes à plusieurs boulangers en France. Il entendit parler du farinomane et tenta sa chance auprès de celui-ci. Malheureusement, le fournil d’Aix ne pouvait à cette époque le recevoir.
Quelque temps plus tard, Benoit Fradette contacta Jonathan Valdman et lui annonça: «Nous ouvrons une boulangerie à Bangkok, es-tu partant pour y aller boulanger?» La réponse fut immédiate. Jonathan Valdman se rendit à la boulangerie d’Aix pour y suivre un apprentissage intensif de quelques mois auprès de Benoit Fradette.
Depuis juin 2014, Jonathan Valdman est le chef-boulanger d’Ámantee. Gilles poursuit son travail de développement pour la boulangerie, laquelle ouvrira sous peu un point de vente sur un étage réservé à l’alimentation dans un centre commercial de Bangkok.
Ámantee est tout équipée pour répondre à une grande demande et pour produire des pains de qualité, longuement fermentés et cuit dans des fours sophistiqués (Fringand) importés de France. Les farines biologiques, produites sur meules de pierre, sont aussi importés du vieux continent et son stockées à la vue de tous, sous le comptoir des ventes. Quelques-uns des pains demandent une fermentation de plus d’une douzaine d’heures: mélangées la veille, les pâtes séjournent dans des pétrins Artofex toute la nuit, sont divisées et façonnées tôt le matin puis sont enfournées pour sortir du four autour de sept heures.
Cela donne un pain à la farine de blé complète, qui a été ensemencé à la levure boulangère (mais si peu), un goût fin qui fait exploser de la saveur du blé. Cette miche complète est un témoignage que le bon pain n’est pas nécessairement au levain — et souvent, aussi, il y a des pains au levain qui sont tout simplement immangeables.
Nous avons visité Ámantee tôt un mardi matin, pendant que les urbains de Bangkok avaient déjà envahi les routes de la grande ville pour se rendre au travail. Déjà quelques grands pains étaient exposés derrière la vitrine. Les fougasses partaient pour le four et les pains spéciaux nous faisaient saliver.
La boulangerie est ici aménagée comme celle d’Aix, avec un souci d’encombrement minimal et d’efficacité pour la production. Ainsi tout part du fond du local où on retrouve les deux pétrins et des réserves de farine. Ensuite le four qui est plus long que large longe l’un des murs. Le plan de travail est directement adossé sur le côté du four, pour profiter de sa bonne chaleur. Les pains sont défournés et sont mis à ressuyer sur des étagères situées juste à la sortie des portes. Finalement, à l’avant de la boulangerie, un comptoir présente les pains directement aux clients (c’est-à-dire que les clients voient les pains devant eux, sans qu’il y ait un-e vendeur-euse entre les clients et les pains, comme dans la plupart des boulangeries françaises où les pains sont stockés sur des étagères derrière les commis).
C’est lumineux, aéré, avec de l’espace pour de futurs projets. Ici, Gilles reprendra ses activités d’antiquaires, les deux étages au-dessus de la boulangerie abondent en meubles anciens, et un café-bistro pourrait ouvrir ses portes dans le local adjacent à la boulangerie.
J’ai ressenti chez Ámantee la passion de trois hommes inspirés. Benoit, Gilles et Jonathan, tous trois marchant sur la voie du pain avec coeur et énergie.