Pèlerinage du pain à Montréal

Pèlerinage du pain à Montréal

Au marché Jean-Talon, à quelques minutes de marche de notre première destination, Caroline Rolland nous accueille à la boulangerie Première Moisson. Au service de l’entreprise depuis seize ans, Caroline Rolland a tout d’abord commencé au comptoir durant ses études universitaires en architecture du paysage. Diplôme en poche, elle a réalisé que sa place était auprès de la clientèle, au sein de cette boulangerie artisanale d’une grande capacité de production .

Première Moisson est née en 1992 à l’initiative de Liliane Colpron et de ses proches. D’une première succursale à Dorion, l’entreprise a grandi et développé dix-huit boulangeries dans la région de Montréal. Chacune de ces boulangeries prépare et cuit son propre pain, au sein d’une structure où chaque patron propriétaire gère à parts égales son commerce avec la direction de Première Moisson. Les autres produits préparés, comme les viennoiseries, sont produits dans des usines centralisées qui distribuent dans tout le réseau afin d’assurer une facilité de production (grâce à la congélation) et une fiabilité sur le plan de la qualité.

Au four, Rémi, un boulanger vagabond d’origine française, nous raconte comment son parcours l’amène à explorer le monde de la boulangerie hors de la France. Dans la mi-vingtaine, il a l’énergie de l’apprenti et accepte de se remettre en question face à des techniques, mais surtout des ingrédients, différents. «C’est possible de développer son toucher et d’acquérir une certaine facilité et une intuition quand on est dans une même boulangerie après plusieurs années. Mais il suffit d’aller travailler ailleurs pour devoir tout réapprendre», nous confie ce boulanger qui souhaite ouvrir un jour sa propre boulangerie.

À la croisée des modes de production artisanale et industrielle, Première Moisson mise pour ses pains une qualité qui honore la tradition et l’innovation. Sous le slogan «L’Art du vrai», elle présente à sa clientèle tout ce dont celle-ci pourrait avoir besoin pour se constituer un bon repas, incluant le pain et ses condiments. Sur l’étalage des pains, les croûtes dorées des baguettes côtoient la douzaine de variétés de pains complets et spéciaux. Le pain complet sur levain naturel que nous dégustons se veut à la fois léger et parfumé d’un arôme riche de grains.

Il est commun d’entendre que les boulangers, mais surtout leurs vendeuses et conseillères (car ce sont souvent des femmes), doivent éduquer les clients au sujet du pain. «Il m’arrive, dit Caroline Rolland, de devoir répondre à un client qu’un pain n’est pas brûlé, mais qu’il est tout simplement bien cuit.» Fait intéressant, souligne par ailleurs Caroline Rolland, la baguette se consomme comme un produit de luxe au Québec, alors qu’en France elle est considérée comme le pain quotidien, acheté et renouvelé chaque jour.

Comme le Pain dans les voiles, Première Moisson emploie les farines des Moulins de Soulange et affiche clairement derrière le comptoir son parti pris pour le circuit court blé-farine-pain promu par l’Agriculture raisonnée. Ayant joué un rôle dans la mise sur pied des Moulins de Soulange, Première Moisson a exercé un effet de levier important que des boulangers artisanaux de plus petite envergure n’auraient pu exercer seuls. Les nombreuses boulangeries artisanales du Québec qui utilisent aujourd’hui les farines des Moulins de Soulange, incluant le mélange Pain dans les voiles, sont ainsi liés d’une certaine manière à l’agriculture et la minoterie d’envergure «industrialo-artisanale».

«Les gens vont chez Première Moisson, et non chez Première Moisson du Plateau Mont-Royal ou du marché Jean-Talon. Il faut donc qu’il y ait une uniformité. Mais nous avons une capacité de production et de vente qui facilite les expérimentations de pain à grande échelle», précise Caroline Rolland. La passion de cette gérante au service d’une entreprise effervescente nous aura convaincus que le monde de la boulangerie artisanale au Québec dépend des initiatives des plus grands comme des plus petits. Il est bien plus complexe qu’il n’y parait de tracer la frontière entre le monde artisanal et le monde industriel de la boulangerie.

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