Province de Dalécarlie (Dalarna), Suède: au rythme du fleuve Dalälven

Province de Dalécarlie (Dalarna), Suède: au rythme du fleuve Dalälven

En route vers la province de Dalécarlie (Dalarna en suédois, «les vallées»), nous suivons une autoroute monotone qui enjambe régulièrement le fleuve Dalälven. Le deuxième plus long fleuve du pays, avec ses 541 kilomètres, parcourt la province en son centre comme une artère sinueuse. Partout, ce sont des cultures de pins qui bordent la route. Vouées à des coupes forestières dont nous lisons les cicatrices dispersées partout sur le paysage, ces cultures planifiées font partie d’un modèle forestier de développement durable.

Nous avons l’impression de circuler en territoire laurentien, au Québec (à la hauteur du parc national des Grands-Jardins, par exemple), et ne sommes pas renversés par ce que nous voyons. Pour nous rendre à Särna, notre destination à proximité du parc national Fullufjället où nous comptons faire une excursion, nous avons calculé 440 km et deux jours de route. À 80 km/h, la progression est lente. Nous avons tout le temps de réfléchir à ce que signifie «dépayser».

À Särna, nous établissons notre campement parmi les moustiques, sur le bord du fleuve Dalälven. Nous souffrons tous, les enfants inclus, de piqûres nocturnes et, par conséquent, du manque de sommeil. Cela intensifie les attitudes colériques à la fois des parents et des enfants. Les enfants rechignent à l’idée de marcher. Malgré tout, au pied des chutes Njupeskär, les plus hautes de Suède avec leurs 93 mètres, nous nous régénérerons dans l’embrun.

Je quitte avec Mikael pour une randonnée de deux jours et une nuit sur le sentier Tangsjöleden, au parc national Fulufjället. Le sentier atteint presque les 1000 mètres d’altitude, sur de hauts plateaux qui avivent les souvenirs des Chics-Chocs, en Gaspésie, et les plateaux de ceux-ci sur le mont Jacques-Cartier. Mais ici, les plateaux sont encore plus vastes et s’étalent sur des dizaines de kilomètres.

Le lichen et les mousses de la toundra recouvrent des pierres ressemblant à de gigantesques pierres ponces. Nous ne croisons qu’une poignée de randonneurs, ce qui nous laisse toute la latitude pour installer notre campement au bord du lac Tangsjöarna. Les moustiques ont raison de notre patience et c’est dans l’eau glaciale du lac que nous chassons, ne serait-ce que quelques instants, la sensation persistante de brulure.

À cette altitude et latitude, la nuit est claire. En ce minuit crépusculaire, je me réjouis de l’efficacité de notre tente à garder le bourdonnement des moustiques à l’extérieur. À trois heures du matin, le soleil a déjà entrepris sa course céleste. À six heures, nous surchauffions dans la tente. Le bain matinal est si rafraichissant et revigorant que je n’ai aucune pensée pour ce café matinal qui est devenu mon habitude sur la route.

Sur le sentier, nous suivons des indications pour motoneiges qui font fit des particularités du terrain estival. La ligne tracée par ces piquets surmontés d’une croix rouge traverse des tourbières et des lacs infranchissables à sec. Nous perdons notre chemin quelques fois et nous réjouissons d’avoir cueilli une carte topographique à l’accueil du parc.

L’entrée dans tous les parcs nationaux suédois est gratuite, de même que le camping sauvage que nous pratiquons consciemment. Je suis surpris par l’écart entre la culture suédoise du plein air et celle qui prévaut chez nous, au Québec. Une telle sortie dans un parc national au Québec nous aurait délestés d’une cinquantaine de dollars (frais pour le véhicule, frais pour les personnes, frais pour le site de camping, frais pour la carte topo).

De retour sur la route, nous cheminons vers le sud, en direction d’Älvdalen. Parce que nous avons fait le chemin en milieu d’après-midi, il est environ dix-sept heures quand nous arrivons à la ville. Les enfants ne tiennent plus en place. Nous devons avant toute chose faire la vidange des eaux usées et remplir nos réservoirs d’eau propre. Nous faisons alors un détour par un camping qui nous permet de faire notre besogne gratuitement.

Les enfants, avides de jeux et de nouveautés, nous prient de rester pour la nuit au camping. Pour jouer au minigolf et s’amuser autour. Nous ne nous réjouissons pas à l’idée de nous joindre à cette faune d’autocaravaniers qui, pour la plupart, semble rompue au confort de l’immobilité sur les sites de camping. Je prends pour preuve l’embonpoint qui afflige nombre d’entre eux. Nous en profitons tout de même pour faire une lessive, un luxe nécessaire, et prendre une douche chaude et savonnée.

À la foire villageoise de Blyberg, je m’épanouis dans une boulangerie traditionnelle suédoise où on prépare le tunnbröd. C’est un pain plat dont la pâte est pétrie à partir de pommes de terre en purée (issues de la récolte de l’année précédente) à laquelle on ajoute de la farine de blé et un peu de farine de seigle, et du sel.

Les boulangères façonnent et roulent les pâtons avec des outils de bois sculptés artisanalement. Lorsque la pâte est amincie suffisamment, la boulangère enroule la pâte autour d’un long bâton et déroule celle-ci dans un four à bois chauffé par un feu constant. Les tunnbröd ainsi cuits sont pliés pour ensuite être vendus. Nous découvrons ainsi un pain magnifique pour les rouleaux (wrap) aux haricots noirs dont nous raffolons. Peut-être trouverais-je le matériel nécessaire, au saurais-je le bricoler, pour faire de ces tunnbröd à mon retour au Québec.

Nous trouvons, pour une nuit, un site extraordinaire sur le bord du fleuve Dalälven. Le long de la route 70, nous apercevons régulièrement des espaces dégagés où les autocaravanes peuvent s’installer pour une nuit. Nul service à proximité, mais ces espaces nous font sentir que nous sommes les bienvenus avec notre autocaravane.

Le site que nous avons trouvé se situe directement sur la rive du fleuve, laquelle descend doucement dans le rapide. Durant plusieurs heures, nous ne faisons rien d’autre que nous baigner nus dans cette eau glaciale, nous laisser réchauffer au soleil et savourer notre immobilité. Nous n’avons pas de projet pour la journée et c’est tant mieux. Chaque déplacement en camion nous coûte beaucoup de temps en préparation (fermer le gaz, aménager l’intérieur) et d’argent en essence.

Nous faisons plus tard dans la journée une escale à un alpage traditionnel, Torlidds Levande Fäbod, où cinq vaches donnent le lait nécessaire à la production d’un fromage frais très salé. L’ambiance réjouit les enfants, eux qui n’en ont jamais assez de voir des animaux de ferme. La saison de l’alpage ne dure qu’en juillet et août, car le froid et la neige ne tardent pas à tomber dans les hauteurs.

Alors que nous poursuivons notre route vers le sud, nous recherchons à Mora un lieu public, en bordure de l’eau, où nous pouvons nous installer pour le repas du soir. Soudain s’approchent des quais des maisons-bateaux ressemblant à des radeaux, version cabane des bois flottante. Nous nous approchons pour mieux les examiner. Les plaisanciers y semblent tout à leur aise, assis sur le pont avant, discutant, fumant et buvant tout en conduisant leur embarcation à bon port.

Sur le quai, un homme les attend avec des réserves d’alcool pour la veillée. «Ceci est du moonshine, sent, goûte!», m’offre-t-il, en me tendant son bidon de quatre litres d’alcool frelaté. Je décline l’offre, mais engage la conversation. L’un des bateaux a été construit par le grand-père de l’actuel propriétaire, il y a plus de 35 ans. «C’est aussi l’âge de notre Bedford», lui dis-je. L’autre bateau, plus récent, a également été construit par son propriétaire, lequel mettra sous peu en chantier une autre embarcation plus grande. Cuisinette, salon, lits superposés et cabine de pilotage, tout a été pensé pour effectuer des veillées mémorables sur les eaux du lac Siljan.

Nous les laissons à leur veillée et reprenons, après les avoir salués gaiement, notre route de retour vers Stockholm.

À suivre…